Félix Faust était assis à sa place habituelle dans la bibliothèque, éclairé à la lumière blafarde d’une bougie à moitié consumée, la lumière découpant ses traits secs à la serpe. Autour de lui s’étendaient des rayonnages d’ouvrages visiblement anciens, une impressionnante collection de tomes antiques accumulés en plusieurs dizaines d’années par son propriétaire. La pièce était d’apparence plutôt rustique, constituée de bois, ou du moins le semblait-il. Car en fait tout cela n’était qu’une illusion, une construction magique élaborée il y avait plusieurs décennies déjà par l’occupant de la salle. Le bois n’en était pas vraiment, pas plus que les bougies n’étaient constituées de cire, ou ne dégageaient la moindre chaleur. De toute façon la pièce était à température constante. Il n’y avait pas de porte apparente, aucune fenêtre donnant vers l’extérieur. Et de toute façon, à l’extérieur, il n’y avait rien, rien d’autre qu’un vide insondable que Faust ne connaissait que trop bien, puisqu’il y avait passé plusieurs millénaires, réduit à l’état d’esprit immatériel. Même dans cet état entre la vie et la mort, cela lui avait paru très long.
Mais cela avait au moins eu un avantage, celui de ne pas avoir eu à se demander où construire ce sanctuaire secret quand l’idée lui était passée par la tête, était-ce en 1936 ? 1938 ? Peu importait. Il savait de source sûre que dans cette dimension oubliée, nulle entité ne passait jamais. Cet endroit avait été l’un des rares sortilèges permanents qu’il avait lancé au cours de sa vie, avec celui qui lui garantissait la jeunesse éternelle. Les sortilèges permanents prenaient à chaque fois une parcelle de l’énergie vitale d’un individu, c’était donc quelque chose à utiliser avec parcimonie, et ce fait était même inconnu de certains magiciens, curieusement.
Peut-être d’ailleurs Félix Faust se fourvoyait-il dans cette croyance, mais l’idée ne lui traversa jamais l’esprit, pour la bonne raison qu’il était convaincu d’avoir raison en tout. Son cerveau de mégalomane n’aurait su envisager le fait qu’il ait pu avoir tort, surtout dans sa spécialité. Cela lui avait d’ailleurs déjà joué quelques tours, et cela se reproduirait certainement à son détriment.
La pièce contenait également d’autres éléments, un laboratoire, des étagères regorgeant de composants magiques, ainsi qu’une vitrine contenant quelques artefacts antiques, dont la plupart avaient perdu depuis bien longtemps leur magie, s’ils en avaient été dotés en premier lieu. C’était l’un des rares témoignages de la vie passée de Faust, à l’époque où il étudiait l’archéologie.
Pour l’heure il était plongé dans la lecture du « De Vermis Mysteriis », édition 1926, dans l’espoir que l’antique tome contenait encore quelque connaissance qui lui aurait échappée à la première lecture, quelque sortilège qu’il pourrait employer pour augmenter sa puissance. Les rédacteurs de tomes magiques avaient en effet la fâcheuse habitude, pour échapper aux poursuites éventuelles de l’Eglise, de dissimuler leurs secrets dans les ouvrages à l’aide de codes et d’énigmes à déchiffrer. Faust se targuait d’en avoir découvert pas mal, et entendait bien les décoder tous…
Jeu 6 Sep - 15:41