Rédemption

Les choses avaient pourtant bien commencé ... Jusqu'à ce que Shadow Mind tombe sur ce scélérat de Faust à Boston, quelques jours plus tôt ! Elle avait eu des démélés avec ce magicien qui, entre autre chose, lui avait dit sur elle, et sur son possible futur, des choses troublantes. Des choses pas tout à fait fausses, qui plus est, à propos de sa nature profonde, bien qu'elle ne l'admettrait jamais devant quiconque, et même pas devant elle-même, en fait... Le côté sombre qui était en elle existait, ou plutôt avait existé, chez chaque membre de sa race. Et c'est en grande partie à cause de lui que la guerre mortelle et destructrice qui les avaient menés à leur perte n'avait pas été stoppée à temps pour empêcher la destruction mutuelle de deux peuples qui auraient dû être frères. Pour l'heure elle évitait de s'attarder à ces considérations, elle avait des choses plus urgentes à régler.

Après le départ du magicien, elle avait cherché l'homme à qui elle venait de sauver la vie, celui que Faust avait appelé Clayton Reed, mais elle ne l'avait pas retrouvé. Il n'était plus là où elle l'avait laissé, et nulle part dans les environs, et la jeune femme avait commençé à être inquiète, aussi était-elle retournée à l'endroit de la fusillade pour savoir ce qui s'était passé, exactement. Et là, elle avait fait une découverte troublante ... à l'étage où elle se trouvait, il n'y avait aucun bureau ou aucune banque ou quoique ce soit d'aucune sorte qui aurait pu intéresser un voleur. Les traces de l'explosion prouvaient en effet qu'il y avait eu une explosion, et qu'elle venait de la direction des "vigiles", non pas de celle du "voleur", ce Reed ... pendant les trois nuits suivantes, elle s'était ingéniée à trouver ce qui s'était passé en cet endroit, dans ce bureau, et à sa plus grande consternation, elle avait découvert que ce que Faust lui avait dit était vrai. Tout était vrai, et elle avait aidé sans le vouloir des criminels.

Sans plus attendre, elle avait tenté de retrouvé cet agent qui avait échappé à la mort grâce à l'intervention de Faust, et avait pu découvrir qu'il travaillait pour le Bureau de Boston, la filière du FBI. Elle l'avait trouvé, mais trop tard... Il était mort, assassiné... Et la dernière chose qu'il avait faite avait été de transmettre son signalement et la nature de ses pouvoirs, avec la mention "très dangereuse, à surveiller", à ses supérieurs à Washington. Elle était refaite, et pire que ça ... On ne voudrait plus jamais d'elle dans la Ligue, maintenant qu'elle était fichée comme super criminelle à superpouvoirs. Elle aurait de la chance si personne ne débarquait pour l'arrêter... Il n'y avait qu'une solution : elle devait renverser la vapeur et se disculper avant qu'il ne soit trop tard. mais avant tout, elle avait besoin de preuves pour prouver sa bonne foi ...

Elle se mit à la recherche des criminels que l'agent Reed devait normalement faire arrêter. Elle avait pu découvrir qui ils étaient dans ses fichiers. Elle eut du mal à les dénicher, mais pour certains, ce fut assez facile. Les uns après les autres, elle les localisa et les neutralisa, en profitant pour récupérer chaque fois des preuves pour les faire inculper et prouver qu'elle voulait aider, pas détruire.

Et cette nuit, elle avait tout ce dont elle avait besoin. restait à atteindre le QG du FBI avant qu'on ne la repère et qu'on ne l'arrête...

**Je n'arrive pas à croire que j'ai pu être aussi bête... J'ai encore beaucoup plus de choses que je ne le croyais à apprendre sur les humains.**

Elle atteignait sans heurts son but, et avait mémorisé les plans de l'intérieur du bâtiment pour pouvoir se diriger tout droit vers le bon bureau sans risquer de se perdre. Heureusement pour elle, il avait une fenêtre. et c'est par là qu'elle entra. Un homme était assis dans un fauteuil derrière un bureau, un téléphone collé à l'oreille, et il semblait mécontent. Elle entendit ce qu'il disait.

"Je me fiche du temps que ça prendra, mais retrouvez-là! Elle est dangereuse, elle a ruiné à elle seule une opération qui avait pris plusieurs mois de préparation ! Une pause puis : Morte ou vive, oui !"

Et il raccrocha le combiné violemment, l'air contrarié. Il ne l'avait pas vue, elle se dissimulait dans les ombres derrière la fenêtre. Elle sortit des ombres et fit un pas dans la pièce, passant par la fenêtre ouverte.

- Si c'est moi que vous cherchez, je suis là. Et je vous apporte la preuve que je ne suis pas la criminelle que vous croyez que je suis. Tout cela était une erreur, et je peux vous le prouver.

L’homme fit pivoter son fauteuil.

« Nous savons qui vous êtes, ça fait des jours que nous vous attendions. Je commençais à croire que vous ne viendriez plus. »

Il ne semblait pas le moins du monde surpris de la voir. Il se leva. Il était de haute stature, les cheveux bruns coupés court, plutôt costaud.



« Je me présente, Rick Flagg. »

« J’ai apporté des preuves pour condamner les criminels que j’ai fait arrêter. », commença Shadow Mind.

« Vous devez savoir que ces preuves ne sont pas recevables devant un tribunal si elles n’ont pas été acquises légalement. Non, je vois à votre expression que vous ignoriez ce détail. Ce qui fait que la plupart des gens que vous avez arrêtés sont libres à présent. Vous n’êtes pas d’ici n’est-ce pas ? »

Shadow Mind était désolée, elle avait voulu faire au mieux, mais encore une fois, son inexpérience des humains la desservait. Elle ne répondit pas immédiatement à la question de l’homme.

« Entité dimensionnelle ? Extra-terrestre ? Pendant que j’y suis vous devez également savoir que je ne suis pas du F.B.I. »

Shadow Mind, instinctivement, regarda autour d’elle, guettant un piège éventuel. Elle ne vit rien, et les manières de l’homme lui paraissaient honnêtes.

« Répondez aux questions, c’est dans votre intérêt », poursuivit-il du ton d’un homme habitué à être obéi.

Shadow Mind se sentait perdue et déboussolée, et ce depuis plusieurs jours, depuis cette affaire avec Faust, et elle se demandait comment diable les choses avaient bien pu si mal tourner... Cependant, elle se rendait maintenant compte avec une grande acuité qu'elle ne savait pas grand chose des Humains qu'elle prétendait vouloir aider. Cet homme l'avait mise face à cette constatation: elle ne savait rien de ce monde, en réalité.

Elle n'avait senti aucune duplicité chez son interlocuteur, aussi sortit-elle complètement des ombres et vint-elle dans la lumière. La lumière électrique ne lui faisait rien, elle pouvait se le permettre.

"Je me nomme Shadow Mind. Ce n'est pas mon nom de naissance, vous vous en doutez, mais il vous serait impossible de le prononcer, de toute manière. Je suis... très différente de vous, humains... mais mon origine, même si je vous la révélais, ne vous dirait rien."

"Essayez quand même."

L'alien fronça les sourcils. Bien qu'elle ne sente pas de duplicité chez son interlocuteur, sa récente mésaventure avec le magicien l'avait échaudée. Elle restait sur ses gardes, prête à user de son pouvoir dès que ce serait nécessaire.

"Monsieur... Flagg, c'est cela ? Vous dites que vous n'êtes pas du FBI... Qui êtes-vous dans ce cas? Et pour qui travaillez-vous?"

"Non, non, mademoiselle, vous n'avez pas compris. C'est vous qui répondez aux questions, pas moi. Alors, reprenons. Qui êtes-vous exactement et d'où venez-vous?"

Elle se demandait où il voulait en venir. Il restait calmement assis à son bureau, comme s'il avait ce genre de conversations avec des gens de son espèce tous les jours, et elle, elle se sentait de plus en plus décontenancée. Et il n'avait pas l'air d'être du genre à plaisanter. Il n'avait encore rien dit ou fait de menaçant, mais pour une raison obscure, Shadow Mind se sentait très mal à l'aise. Elle n'aimait pas cela ...

"On peut faire un échange d'informations, Monsieur Flagg. Dites-moi qui vous êtes, et je vous dirai ensuite qui je suis. D'accord?"

« Soit, je suis un colonel de l’armée de l’air des Etats-Unis d’Amérique. J’ai quelque… expérience avec les gens de votre espèce. Les méta-humains en général je veux dire. C’est pour cela qu’on a fait appel à moi pour vous rencontrer. Je ne vous cache pas que vous êtes dans de très sales draps. Vous avez commis, sciemment ou non, plusieurs violations des lois fédérales de ce pays, qui seraient passibles d’emprisonnement. Vous ne l’avez sans doute pas fait exprès, mais nul n’est censé ignorer la loi. »

Tout en parlant Flag étudiait son interlocutrice. Elle était impassible, difficile à cerner, et cela n’était pas seulement dû au manteau d’ombre qui l’environnait.

« Vous voulez que je joue franc jeu, je vais jouer franc jeu. Je vous laisse le choix entre deux options et deux seulement. Soit vous êtes considérée comme une criminelle et vous serez traquée sans pitié en tant que telle, par moi ou quelqu’un d’autre, soit nous passons l’ardoise sur vos égarements, nous vous aidons à vous intégrer à la société humaine, et vous acceptez de travailler de temps en temps pour moi, quand je vous contacterai. »

Flag attendit la réponse de Shadow Mind.

"Bien... Je crois que mes... égarements, comme vous dites... sont une nouvelle preuve de mon manque de connaissance de votre espèce et de ses coutumes. je le déplore, croyez-le bien, et la dernière chose que je souhaite est d'être considérée comme une criminelle."Une pause, et plus bas, comme pour elle-même. "Je ne veux plus voir mourir une planète... J'aide les gens!"

Elle avait parlé sur un ton neutre et distant, comme perdue dans ses pensées, pensées qui, si elles étaient entendues par son interlocuteur, ne seraient sans doute pas comprises. Elle envisagea les options que lui avaient données Flagg, et aucune des deux ne lui plaisait, mais elle ne souhaitait pas être classifiée comme criminelle. Elle voulait intégrer la Ligue, si un jour elle se reformait, et alors, elle n'aurait pas la moindre chance.

La seconde option était sans doute le moindre de deux maux. Elle n'aimait cependant pas se retrouver aux ordres de quelqu'un et être obligée d'accourir au moindre appel. Elle était toujours une princesse, même si son monde n'existait plus, pas un serviteur! Elle l'était et le demeurerait toujours dans son âme et son coeur.

"Alors? Quelle est votre décicson ? Travaillerez-vous pour moi ou préférez-vous être chassée et poursuivie comme une vulgaire criminelle?"

L'homme avait toujours l'air aussi calme et il attendait la réponse de la jeune femme avec une patience apparement illimitée. mais elle se disait bien qu'il n'attendrait pas éternellement... Cette attitude n'était qu'une façade. Une chose qu'elle avait apprise sur ce monde était que les attitudes étaient toujours des façades, ou presques. On ne montre que ce que l'on veut que l'autre voit... Un peu comme chez elle, l'hypocrisie devient une seconde nature.

"Très bien, Colonel Flagg. Je ne souhaite pas devenir une criminelle, par ma volonté ou par la force des choses." Elle serra les dents et ajouta, une pointe d'amertume dans son ton. "J'accepte vos conditions. je n'ai guère le choix..."

"Vous avez le choix, mademoiselle. Nous avons toujours le choix, mais cette fois, vous avez fait le bon."

Shadow Mind fronça les sourcils et eut un imperceptible soupir. Elle avait l'impression de venir de se faire prendre dans un filet qui allait bientôt se refermer sur elle et l'enserrer tellement étroitement qu'elle ne pourrait plus en sortir. Quelque chose lui soufflait qu,elle finirait par le regretter.

« Nous allons vous fournir une identité secrète, un lieu où vivre ainsi qu’un peu d’argent. Si vous avez une préférence pour tout ceci, tâchez de nous le faire savoir dès que possible. Je vous laisse ce communicateur, ayez-le sur vous en permanence. » Il posa le petit appareil sur la table.

« Je crois que c’est tout pour l’instant. Nous vous contacterons si besoin. Si vous n’avez pas d’autres questions vous êtes libre de vous en aller. »

Elle ne bougea pas et ne dit rien pendant un moment, la tête légèrement baissée et apparemment plongée dans une intense réflexion. Sans doute venait-elle, dans une certaine mesure, de se faire avoir, mais elle avait fait ce qui lui semblait être la meilleure chose. Et en fin de compte, elle ne devait s'en prendre qu'à elle-même pour ce revers de fortune. Elle aurait mieux fait de s'appliquer davantage à étudier les humains au cours de ces trois dernières années.

"Une question, oui. Quel genre de travail entendez-vous me confier, Colonel ? Vous devez savoir que je ne ferai jamais quelque chose qui risque de blesser ou de faire souffrir des innocents."

Et elle attendit la réponse, bien qu'elle se doute que, quoi qu'il dise, ce ne serait pas toute la vérité, et peut-être un complet mensonge. mais elle se devait de poser cette question. Même si elle s'embarquait dans cette histoire des plus glauques, elle avait toujours des principes, qu'elle appliquait depuis des centaines d'années. On ne lui en ferait pas changer aujourd'hui.

« Encore faut-il croire à l’existence de l’innocence… Mais c’est un autre débat. Sachez que ce que je vous demanderai en temps utile sera pour le meilleur intérêt du peuple des Etats-Unis d’Amérique que j’ai juré de servir au péril de ma vie, tout comme mon père l’avait fait avant moi. »

Shadow Mind fut surprise de la ferveur avec laquelle le colonel Flag venait de s’exprimer. Non seulement il lui disait l’entière vérité, de son point de vue, mais elle ressentait que c’était beaucoup plus pour lui qu’un simple travail, c’était une vraie vocation.

Il prit dans la poche de sa veste une sorte de petit téléphone portable qu’il posa sur la table.

« Votre choix. »

Il se leva pour se préparer à partir de la pièce.

« Autre chose ? »

C'était en effet une réthorique dans laquelle la jeune alien ne désirait pas s'engager, étant trop peu au fait de la manière de penser des humains, mais elle pourrait se pencher là-dessus, à l'occasion... Elle trouvait cependant cet homme des plus fascinants. C'était la première fois qu'elle rencontrait une telle ferveur et un tel engagement pour une cause, en dehors des quelques super héros qu'elle avait rencontrés. C'était... intéressant, oui c'était bien le mot. Intéressant...

Elle se pencha et prit sur la table le petit communicateur et le fit disparaître. Cependant, elle ne semblait pas avoir de poches... Son costume semblait fait d'ombres solides, si une telle chose était possible... Il était d'un noir luisant et uni, sans coutures ni poches visibles, ni fermetures d'aucunes sortes. Elle se drapa ensuite dans son manteau d'ombre, ce qui lui donnait une allure très royale, et plutôt intimidante, en rêgle générale, mais elle se disait que cet homme n'était pas intimidé par grand-chose.

"J'aimerais plus de détails sur notre entente, Colonel Flagg. Quand et comment vais-je recevoir cette identité d'emprunt et cet appartement dont vous m'avez parlé? Dois-je aller en un endroit précis pour cela ? Bref, que pouvez-vous me dire de plus?"

« Nous vous recontacterons pour ces détails. Si vous n’avez pas d’idée précise concernant la ville où vous voudriez vivre et l’identité que vous voudriez adopter nous vous en fournirons une d’office. Ca ne devrait pas prendre très longtemps. »

Pour lui ce n’étaient apparemment que de simples formalités, dont il ne se préoccupait guère. D’autres personnes s’en chargeraient plus efficacement que lui. Mais il n’avait aucun doute quant à la faisabilité de la chose, ce qui dénotait des relations haut placées.

« Je pense qu’il est très important que vous vous mêliez aux humains, que vous viviez parmi eux au lieu de les observer de loin. Cela vous sera sans aucun doute très instructif. »

"Bien. Vous avez raison, vous savez... J'ai vécu à l'écart des hommes depuis mon arrivée ici, les observant de loin et croyant que c'était la bonne chose à faire... Je comprends maintenant que j'avais tort." Une pause, puis, sur un ton des plus contrariés. "Vous ne pouvez pas comprendre à quel point il m'est pénible d'admettre cela. Je n'ai pas à justifier mes actes... Du moins, le croyais-je..."

Shadow Mind se tut et sembla sortir de sa réflexion, C'était comme si elle se parlait à elle-même, depuis quelques minutes, oublieuse de l'autre personne présente avec elle dans la pièce. Elle releva brusquement la tête et planta alors son regard insondable et aussi noir que les profondeurs de l'espace dans celui de son interlocuteur. Elle ajouta, une note de menace dans la voix:

"Sachez, Colonel Flagg, que si d'une manière ou d'une autre, vous vous serviez de moi à des fins inavouables, je ferai tout en mon pouvoir pour vous le faire regretter. Et vous savez que j'en ai le pouvoir et ne croyez pas que j'hésiterai à le faire. Ce serait votre dernière erreur."

Puis, ayant de toute évidence dit tout ce qu'elle avait à dire, elle se dirigea de nouveau vers la fenêtre, et les ombnres l'envellopèrent complètement. Une minute plus tard, la pièce redevint claire, et la jeune alien n'était plus là.